Extrait de la Lettre encyclique
du Saint-Père François
Beaucoup de choses doivent être
réorientées, mais avant tout l’humanité a besoin de changer. La conscience
d’une origine commune, d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par
tous, est nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le
développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un
grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus de
régénération, est mis en évidence.
Miser sur un autre style de vie
Étant donné que le marché tend à
créer un mécanisme consumériste compulsif pour placer ses produits, les
personnes finissent par être submergées, dans une spirale d’achats et de
dépenses inutiles. Le consumérisme obsessif est le reflet subjectif du
paradigme techno-économique. Il arrive ce que Romano Guardini signalait déjà :
l’être humain « accepte les choses usuelles et les formes de la vie telles
qu’elles lui sont imposées par les plans rationnels et les produits normalisés
de la machine et, dans l’ensemble, il le fait avec l’impression que tout cela
est raisonnable et juste ». Ce paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres,
tant qu’ils ont une soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont
en réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession
du pouvoir économique et financier. Dans cette équivoque, l’humanité
postmoderne n’a pas trouvé une nouvelle conception d’elle-même qui puisse
l’orienter, et ce manque d’identité est vécu avec angoisse. Nous possédons trop
de moyens pour des fins limitées et rachitiques.
La situation actuelle du monde «
engendre un sentiment de précarité et d’insécurité qui, à son tour, nourrit des
formes d’égoïsme collectif ». Quand les personnes deviennent autoréférentielles
et s’isolent dans leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En
effet, plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à
acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible
qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites. À cet horizon, un
vrai bien commun n’existe pas non plus. Si c’est ce genre de sujet qui tend à
prédominer dans une société, les normes seront seulement respectées dans la
mesure où elles ne contredisent pas des besoins personnels. C’est pourquoi nous
ne pensons pas seulement à l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou
à de grands désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises
sociales, parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que
provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul un petit
nombre peut se le permettre.
Cependant, tout n’est pas perdu,
parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi
se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous
les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de
se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre
dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n’y a pas de
systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la
beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus
profond des cœurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas
oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever.
Un changement dans les styles de
vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le
pouvoir politique, économique et social. C’est ce qui arrive quand les
mouvements de consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus certains produits,
et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des entreprises, en
les forçant à considérer l’impact environnemental et les modèles de production.
C’est un fait, quand les habitudes de la société affectent le gain des
entreprises, celles-ci se trouvent contraintes à produire autrement. Cela nous
rappelle la responsabilité sociale des consommateurs : « Acheter est non
seulement un acte économique mais toujours aussi un acte moral ».146 C’est
pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation environnementale met en
cause les comportements de chacun de nous ».
La Charte de la Terre nous
invitait tous à tourner le dos à une étape d’autodestruction et à prendre un
nouveau départ, mais nous n’avons pas encore développé une conscience
universelle qui le rende possible. Voilà pourquoi j’ose proposer de nouveau ce
beau défi : “Comme jamais auparavant dans l’histoire, notre destin commun nous
invite à chercher un nouveau commencement […] Faisons en sorte que notre époque
soit reconnue dans l’histoire comme celle de l’éveil d’une nouvelle forme
d’hommage à la vie, d’une ferme résolution d’atteindre la durabilité, de
l’accélération de la lutte pour la justice et la paix et de l’heureuse
célébration de la vie”.
Il est toujours possible de
développer à nouveau la capacité de sortir de soi vers l’autre. Sans elle, on
ne reconnaît pas la valeur propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas
de protéger quelque chose pour les autres, on n’a pas la capacité de se fixer
des limites pour éviter la souffrance ou la détérioration de ce qui nous
entoure. L’attitude fondamentale de se transcender, en rompant avec l’isolement
de la conscience et l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute
attention aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la réaction
morale de prendre en compte l’impact que chaque action et chaque décision
personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous sommes capables de dépasser
l’individualisme, un autre style de vie peut réellement se développer et un
changement important devient possible dans la société.
Auteur : Pape François.
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